apesehaiti
Voyage au Sénégal (avril 2012)
Récit du voyage de mémoire au Sénégal Du 13 au 21 avril 2012
« Sur la Route des Droits de l’Homme et l’Abolition de l’Esclavage »
Par : Virginie LARRIVÉ

L’idée de partir au Sénégal…
Partir découvrir le Sénégal. L’idée a fait son chemin comme une graine qui germe au printemps… au cœur de l’hiver dernier, un certain vendredi 13 janvier 2012, au détour d’une conversation avec Linda… « Tu sais Virginie, l’association APESE Haïti organise un voyage au Sénégal en avril prochain sur les traces de l’esclavage du peuple haïtien. Tu pourrais venir… »
Une idée improbable hors contexte mais qui me séduisait à mesure que les heures s’égrenaient de ce vendredi 13… Elle cristallisait un désir, celui du rêve et de l’évasion associé au plaisir de la découverte d’une nouvelle culture. Elle me touchait tout simplement. Marcel, mon époux, à qui je confiais le soir venu ce projet de voyage me suivit ainsi que mes beaux-parents qui acceptèrent de garder ma petite Anne, la durée de notre séjour au Sénégal.
Bien sûr, je me suis posée des questions, cela faisait six longues années que je n’étais pas partie en voyage vers une destination aussi lointaine. Mais, en voyant des lumières dans les yeux de Marcel et en ressentant cette joie intérieure, j’ai compris que notre décision de partir était sans appel. Dès lundi 15 janvier, j’envoyais un courriel à Laure et Linda pour confirmer notre inscription.
Le 1er jour : le trajet JUSQU’A Dakar…
L’aventure a commencé un trimestre plus tard, un vendredi 13 avril 2012, très exactement, jolie coïncidence ou clin d’œil de la vie.
Il était 9 heures quand j’ai finalement bouclé mes bagages et fermé la porte de mon appartement. Installée dans le RER, je regardais s’éloigner mon environnement familier et mes habitudes. Je partais pour l’Afrique de l’Ouest. Quelques trente minutes plus tard, j’ai rejoint Marcel à la gare de Brétigny, il avait fière allure avec sa tenue de randonneur, ses chaussures de marche et son sac à dos bien calé sur ses épaules et ses hanches. Le sourire aux lèvres, il paraissait détendu, heureux de partir tout simplement. Munis de nos billets destination Roissy Charles de Gaulle, nous prîmes un train qui nous conduisit jusqu’à Juvisy-sur-Orge. A 10 h 30, tout au bout du quai de la ligne D, nous sommes allés à la rencontre de Thérèse qui nous faisait de grands signes. Puis quelques cinq minutes plus tard, descendues d’un train en provenance d’Évry, Claude, Linda et Laure vinrent nous rejoindre. Le groupe était maintenant au complet et il était temps de reprendre notre trajet vers Roissy. Je ressentais une exaltation communicative qui délia les langues dans le train. Le groupe apprenait à se connaître davantage. Nous arrivâmes à l’aéroport international Roissy Charles de Gaulle sans précipitation. Une fois les bagages enregistrés, il nous restait suffisamment de temps pour déjeuner. Thérèse, Marcel et moi en profitâmes pour déjeuner au restaurant. Autour d’un déjeuner servi, c’était l’occasion de se raconter nos univers respectifs. Marcel écoutait plus qu’il ne parlait. Thérèse et moi échangions sur nos métiers. Quatorze heures avaient sonné, il était déjà temps de rejoindre Linda, Laure et Claude qui avaient préféré se restaurer d’un sandwich. Nous regagnâmes le terminal 3 pour faire contrôler nos bagages de cabine et attendre l’embarquement dans un grand hall.
Le moment du départ approchait et quand je fus finalement installée tout au fond de l’avion au siège E à côté de Marcel, je reconnus ces mêmes lumières dans ses yeux. L’avion prit de la vitesse sur la piste et décolla d’un coup sec qui fit battre mon cœur un peu plus fort un instant. Assis à côté du hublot, Marcel ne se lassait pas d’observer ce magnifique puzzle de paysages de plaines, de villes, de montagnes en contrebas et les nuages, c’était magique. Il admira bientôt la Méditerranée et puis l’océan atlantique sur la côte de l’Afrique de l’Ouest. De magnifiques îles aux couleurs argentées se distinguèrent au loin sur une mer miroir, c’étaient les Canaries ; à peine une heure plus tard, un autre décor, le désert de Mauritanie. Mais avant que nous n’ayons réalisé vraiment, l’avion avait déjà amorcé sa descente sur Dakar, l’aéroport international Léopold Sédar Senghor. Il était 19 h 35.
En sortant de l’avion, une bouffée d’air chaud caressa mon visage, je me sentais bien. Tandis qu’un bus nous amenait à l’aéroport, j’observais les pistes. Quatre avions étaient déjà stationnés, je ne sais s’ils venaient de se poser ou s’ils allaient décoller mais ils généraient autour d’eux beaucoup d’agitation. Au-delà des pistes, s’étendaient de vastes étendues de terre rouge parsemées quelques rares touffes de végétations qui ressemblaient à de petits arbustes. Le coucher du soleil teintait de reflets rosés ce paysage sénégalais à mesure que la lumière du jour diminuait à vue d’œil.
J’observais mes voisins de bus, des occidentaux comme moi, venus pour se dépayser ou voir de la famille. Une jeune femme européenne attira mon attention. Dans son porte-bébé, un adorable enfant de six mois métis me souriait, son époux sénégalais, je présume, l’accompagnait. Elle me racontait qu’elle venait rendre visite à sa belle-mère et présenter son bébé pour la première fois, j’imaginais son émotion… Des Sénégalais aux habits traditionnels avaient également fait le voyage. Assis dans le bus, coiffés d’un chapeau, ils portaient fièrement leur tenue composée d’une longue robe tunique, d’un pantalon et de sandales en cuir. Ils arboraient de jolies couleurs vives et dans l’étoffe de leur tunique, étaient tissés bien souvent des fils tantôt dorés, tantôt argentés. Une demie heure plus tard, autre tableau, une affluence de jour de marché dans ce hall d’aéroport, sur les tapis roulants, les bagages peinaient à arriver. Tandis que j’observais ce bric-à-brac de valises et de sacs, mon regard fut attiré par un amoncellement de cartons qui comportaient chacun une étiquette intitulée « Œuvre humanitaire, pour le village… » Ainsi, donc des associations françaises venaient en aide aux Sénégalais les plus déshérités. C’était heureux. Enfin, j’aperçus mon grand sac bleu à l’horizon. Et, Marcel, Linda, Laure, Thérèse et Claude récupérèrent également leurs bagages. J’étais un peu soulagée de quitter ce lieu d’agitation et de bousculade, c’était sans compter la foule immense qui nous accueillit en sortant de l’aéroport. Heureusement, Linda reconnut bientôt Amadou et tant bien que mal nous réussîmes à nous faufiler en file indienne au beau milieu de cette masse humaine. Un taxi-bus nous conduisit à l’auberge de Thialy, après avoir traversé différents marchés de rue où toutes sortes de denrées semblaient s’échanger. Il était un peu plus de vingt-et-une heures quand on nous servit un dîner composé d’une entrée de crudités suivie d’un plat de crevettes en sauce accompagnées de riz blanc et en dessert de succulents melons verts sucrés à souhait. Amadou, notre guide, Linda, Laure, Thérèse, Claude, Marcel et moi étions installés autour d’une table en rotin sous une paillotte. L’air était encore chaud en ce début de soirée mais ne nous coupa pas l’appétit. Nous évoquions les détails pratiques du lendemain.

Ce soir-là, je ne pus supporter la moustiquaire qui était suspendue au-dessus de mon lit et m’endormis en entendant le grésillement des moustiques et un mouton qui bêlait furieusement non loin de l’auberge. Curieuse sensation.
Le 2ème jour : Trajet vers Dagana, installation et visites.
Il était 6 h 30 quand Marcel et moi retrouvions le groupe. Nous étions les derniers. Le café bien chaud me revigora. Linda et Laure nous présentèrent le déroulement précis de ce samedi 14 avril 2012. Le séjour itinérant commençait. Nous partions pour Dagana, tout au nord du Sénégal, à côté de la frontière mauritanienne. Nous allions parcourir quelques quatre cent cinquante kilomètres en minibus, il fallait compter six heures de route.

A sept heures, le moteur du minibus se mit à vrombir. Nous quittions le quartier résidentiel de la patte d’oie. Les rues défilaient et offraient différents décors. Des maisons bourgeoises jouxtaient des maisons délabrées ou en construction, des échoppes modestes laissaient la place à des marchés. Et ce sable oranger à la place du bitume qui semblait tout recouvrir comme pour lisser les différences sociales… L’extrême pauvreté frappait, un désordre régnait mais une vie s’organisait au milieu de ce que je percevais comme un désordre dès l’aube. Parmi les voitures, les bus, les taxis, des Sénégalais de condition plus modeste se déplaçaient en charrette tirée par un âne ou un cheval. Des affiches vantaient les mérites de produits manufacturés français tantôt du lait « Gloria », tantôt du café « Nescafé » ou bien encore le cube bouillon « Maggi ». Bientôt, ce décor urbain fit place à la Savane : du sable encore et toujours bien sûr, des petits arbustes de ci de là, quelques baobabs qui trônaient fièrement et ces vaches, ces chèvres et ces ânes qui semblaient errer sans but. A mesure que le soleil se levait, la chaleur se fit plus intense. Le minibus roulait à bonne allure.
Un peu déconfits, nous arrivâmes à Dagana en début d’après-midi. Alioune, homme mince de grande stature à qui il est difficile de donner un âge (peut-être entre 45 et 55 ans) nous accueillit chaleureusement. En sa qualité de directeur de l’école primaire de Dagana, Alioune fut notre guide de la journée. Pour commencer, il nous proposa de nous restaurer d’un met typiquement sénégalais : le « Poulet Yassa ». Dans une grande case en dur, nous étions installés sur un tapis à même le sol, nous dégustions tous dans un même plat avec notre fourchette respective ce délicieux poulet citronné et épicé servi avec du riz blanc et beaucoup d’oignons et de poivrons frits. Alioune et ses collègues enseignantes qui avaient préparé ce plat, partagions avec nous ce succulent déjeuner. Ce fut l’occasion d’échanger sur la culture sénégalaise et sur l’école primaire de Dagana. La fatigue du voyage était oubliée et l’heure était à la détente et aux échanges. Je ressentais une belle proximité avec Alioune et ces femmes enseignantes. J’étais frappée par leur gentillesse, leur simplicité et la passion du métier qui les animait.

A 17 heures, Alioune nous guida vers le centre-ville de Dagana et nous présenta son histoire et son fonctionnement administratif. A l’époque coloniale, la ville de Dagana était dirigée par un commandant de cercle, lui-même assisté par un chef de subdivision et de chefs de village. La maison du commandant date de 1902. Devant la statue de Ndate Yalla Mbodj (1810 – 1860), Alioune nous évoqua l’histoire héroïque de cette reine qui lutta contre la colonisation. Avec ses compagnes, elle a combattu jusqu’à ne plus avoir de poudre puis a préféré s’immoler plutôt que de tomber entre les mains des colons envahisseurs. Héroïque destin tragique.
Alioune nous présenta ensuite son école. On distinguait quatre bâtiments en dur, en crépi jaune, qui entouraient une cour de récréation. Alioune nous fit pénétrer dans une salle de cours initial, cours proposé aux enfants avant le cours élémentaire et destiné à les initier à la langue française et aux savoirs fondamentaux. Alioune nous expliqua qu’il apprenait aux enfants à communiquer en langue française au travers de jeux de rôle dont les thèmes et les situations s’inspiraient de la vie quotidienne des enfants : acheter/vendre des aliments, demander son chemin… La grammaire et l’orthographe ne seraient enseignées que plus tard, l’important était déjà de transmettre quelques automatismes linguistiques. Cette méthode pédagogique m’apparut et m’apparaît toujours très intéressante. Quant à Alioune, il me semblait passionné par ce qu’il faisait, animé par ce désir bien légitime de faire progresser et réussir les enfants de Dagana.
Alioune nous guida ensuite vers un ancien fort, bâtisse rectangulaire à l’allure coloniale qui était située tout au bord du fleuve du Sénégal. En face, la côte mauritanienne avec quelques arbres et puis ce large désert qui se déployait.
Le fort était en travaux, il était question de le transformer en complexe hôtelier moderne afin de dynamiser Dagana. A l’étage, des chambres doubles avec balcons et vue sur le fleuve du Sénégal, au rez-de-chaussée, des suites familiales tout confort et une cuisine centrale nec plus ultra. Je pense que ce fort reconverti allait avoir un bon potentiel à moins que les quelques quatre-cent-cinquante kilomètres qui le séparent de Dakar découragent les quelques premiers touristes.
L’avenir le dira.
Le soleil était bien bas quand Alioune nous guida vers le quartier industriel de Dagana. Il nous montra l’usine de la région qui fabriquait du concentré de tomates. Ce qui nous frappa, ce fut l’affluence de ces camions stationnés non loin de l’entrée de ce complexe industriel, d’où sortait d’une cheminée longue et étroite de la vapeur d’eau et puis surtout, cette odeur persistante, acre, puissante et à dire vrai presque pestilentielle de tomates bien mûres qui attendaient bien sagement dans leurs cageots… Alioune nous expliquait que les camions venaient de partout du Sénégal pour approvisionner cette usine, les chauffeurs arrivés le matin ne déchargeaient leurs tomates qu’au soir venu au mieux. Curieuse ambiance…
La nuit était tombée quand Amadou, Linda, Laure, Thérèse, Claude, Marcel et moi avons regagné le campement. Nous entendions une voix dans un haut-parleur, celle d’un Imam qui livrait son enseignement sur le Coran en arabe, la voix était belle, l’élocution précise. L’heure était à la prière et nous, nous dînions d’un savoureux poisson grillé servi avec du riz frit. Cette nuit-là, je n’entendis ni l’Imam, ni les moustiques et m’endormis très vite…
Le 3ème jour : Découverte de Podor et route vers Djoudj
A 8 heures, nous quittons le campement de Dagana et partons en route vers Podor. A nouveau, des paysages de désert se déploient sous nos yeux. Nous faisons une brève halte pour observer un village reculé au loin : un ensemble de cases en terres cuites organisées en cercle. Nous restons à distance pour respecter l’intimité des villageois. Autour du village, des troupeaux de chèvres, de brebis paissent sagement, un âne attend attaché à un arbre, il me paraît triste. Mais il nous faut déjà repartir, je m’assoupis un peu dans le minibus.
Le soleil est déjà haut dans le ciel quand nous arrivons à Podor. Sur la place centrale qui borde le fleuve du Sénégal, nous sommes accueillis par Ibrahim, à qui je ne donnerai non plus pas d’âge, peut-être un peu plus âgé qu’Alioune. Il nous explique que Podor doit son nom au mot portugais pour désigner l’ivoire. Selon une légende, Podor faisait autrefois office de cimetière d’éléphants.
Ibrahim nous conduit ensuite vers l’ancien fort de Podor qui fut édifié en 1744 par Pierre David Bartholomew et tenu par les anglais de 1758 à 1783. En 1853-1854, Faidherbe en fait construire un nouveau. Il hébergera l’administration coloniale jusqu’à l’indépendance (en 1960), puis l’armée sénégalaise et plus tard, les forces de police et condamné à l’abandon en 1997. Nous circulons dans l’ancien fort de Podor, bâtiment rectangulaire classique de plusieurs étages. Au rez-de-chaussée, nous nous attardons devant les panneaux d’exposition et les anciennes photographies en noir et blanc d’époque qui nous racontent l’Afrique au temps des colonies et la destinée du Général français Faidherbe très populaire au Sénégal. A l’étage, nous visitons les différentes pièces d’habitation, un mobilier sommaire nous permet d’imaginer le quotidien de ce Général Faidherbe, originaire de Lille.
Accompagnés par Ibrahim, nous revenons au centre-ville de Podor. Ibrahim nous raconte que ces maisons qui bordent le fleuve du Sénégal sont d’anciens comptoirs où s’échangeaient différentes marchandises et des esclaves aussi, on peut aisément l’imaginer. Une maison bien rénovée au crépi jaune et aux volets bleus de deux étages appartient à un couple de Français. En face de cette maison, tout au bord de la rive, j’aperçois aussi des femmes, des enfants et des hommes aussi, savonner le linge, le rincer et le ranger dans des bacs. Voici cette autre réalité dont ne nous parle pas Ibrahim… Une réalité qui frappe, celle d’un autre temps en France, celle du temps présent au Sénégal, où le quotidien ressemble plus à une lutte. La modernité s’est arrêtée aux portes de Dakar ou n’est réservée qu’à une élite. Nous sillonnons la rive de Podor. J’écoute tant bien que mal les explications d’Ibrahim mais les ordures éparses, le cadavre d’une chèvre échouée contre un mur et ce soleil qui tape sur ma tête à midi m’ébranlent un peu. Nous nous dirigeons vers le cœur de Podor. Une suite sans fin d’échoppes nous proposent différentes marchandises : des bijoux, des tissus, des huiles, des fruits, des légumes, des poudres de différentes couleurs et ces « dibiteries » qui pendent sur des crochets des carcasses de viandes de moutons, de bœufs… Des enfants courent dans la rue et viennent à notre rencontre pour nous saluer. Ibrahim nous fait presser le pas et nous conduit à un atelier d’artisanat traditionnel. Nous observons alors deux jeunes filles en train de réduire en poudre des cailloux à l’aide d’un grand bâton en bois. Elles sortent à peine de l’adolescence. Elles sont tout sourire. Et leur joie m’émeut. Ibrahim nous attire vers une remise où sont entreposés une centaine de grands pots en terre cuite qu’elles ont confectionnés qui ressemblent à des amphores. Bravo à ces jeunes filles talentueuses !
Nous pressons ensuite le pas car il nous faut rejoindre Claude qui nous attend à l’auberge. Un Tiep Bou Dien nous est servi et il est bienvenu. Ce plat national est composé de riz, de poisson et de légumes (manioc, citrouille, chou, carotte, ou aubergine).
Il est quinze heures, l’heure du départ a sonné, Moussa, notre gentil chauffeur, nous conduit jusqu’au Parc de Djoudj, à 200 kilomètres à l’ouest de Podor, à quelques quatre-vingts kilomètres au nord de Saint-Louis et de la langue de Barbarie, tout à côté du fleuve du Sénégal et à proximité de la Mauritanie. Il est dix-huit heures quand nous posons nos valises au campement d’écotouristique de Njagabaar. Le site est tout simplement magnifique. Au beau milieu de cette savane marécageuse, juste à côté d’un bras du Sénégal, le Djoudj, des cases à proximité d’un restaurant. Un four solaire a été installé dans la cour à titre expérimental. Cette nature sauvage qui se déploie sous nos yeux nous enchante tout simplement. Le soleil va bientôt se coucher mais il nous reste encore un peu de temps pour profiter de cet environnement exceptionnel avant d’aller dîner. Main dans la main, Marcel et moi nous échappons pour un temps du campement pour observer les oiseaux qui se font plus rares à notre approche : quelques canards, hérons attirent notre attention. Nous marchons, humons cet air pur et humide de début de soirée. Je prends quelques clichés. L’instant est doux et plein. Nous retrouverons le groupe à la nuit tombée nous laissant grisés par le chant des grillons…
Le 4ème jour : Balade en pirogue sur le Djoudj et randonnée pédestre aux environs du campement de Njagabaar.
Après un petit tour en mini-bus, le groupe est rassemblé sur un embarcadère. Plusieurs pirogues sont stationnées attendant l’arrivée des touristes. Sur la berge, à peine cent mètres plus loin, une colonie d’une centaine de pélicans prend son bain, les ailes déployées : spectacle majestueux et rare.
Un guide nous installe bientôt sur une pirogue, la promenade peut commencer. De part et d’autre, une savane typique du Sahel peuplée d’arbustes épineux, de tamaris et d’acacias se déploie. Le rythme lent du piroguier nous laisse le loisir d’observer la danse de cette colonie de pélicans et puis, comme sorti de nulle part, un varan, énorme lézard qui se dore au soleil sur un rocher de la berge tout à côté du Djoudj, il paraît nous ignorer… Un peu plus loin, une maman phacochère et ses deux petits qu’elle allaite sur le bord de la rive… touchant tableau. Mais nous restons à distance pour ne pas les effrayer. Puis, à deux centres mètres de là, à demi-recouvert par l’eau, presque en léthargie, un crocodile veille au soleil, est-il endormi ? Je ne pense pas, il attend sa proie qui tarde à venir… Nous ne faisons que passer rapidement et d’assez loin, tant ce voisin nous intimide…
Nous ne nous lassons pas d’observer cette faune sauvage : les oiseaux sont présents par milliers. Imaginez des pélicans, des cormorans, des canards, des aigrettes. Le piroguier nous explique qu’en haute saison (entre les mois de septembre à avril), trois millions d’oiseaux migrateurs sont estimés transiter dans ce parc. Près de 366 espèces d’oiseaux sédentaires ou migrateurs peuplent ce sanctuaire exceptionnel de l’Afrique de l’Ouest.
Il nous précise aussi que tous les 15 du mois, des ornithologues sont chargés de décompter les oiseaux et que le 15 janvier correspond à la journée mondiale du décompte des oiseaux. Il nous présente aussi la vie de ces différentes espèces. A côté de Marcel, je me sens bien et je me nourris de ces explications. Mais, bientôt, nous apercevons en ligne de mire, l’embarcadère, il est déjà temps de partir… Nous saluons notre piroguier qui nous répond avec un sourire.
Un déjeuner copieux nous attend au campement. Au menu : du mafé : plat typiquement sénégalais à base de viande (bœuf) servi avec du riz et de la sauce d’arachide. Les saveurs sont subtiles, riches et nouvelles. Pour digérer une petite sieste s’impose…
Nous nous retrouvons en fin d’après-midi pour une randonnée à travers la savane. La marche a ceci de magique que le corps et l’esprit se mettent de concert en mouvement, ce qui crée un véritable bien-être. Je me sens bien, j’aime ce rythme propice à la découverte.
Le groupe échange sur le paysage, le voyage et d’autres sujets encore… Nous traversons Rhone, localisé au sud du Parc de Djoudj, à environ cinq kilomètres de l’entrée. Créé en 1809 par Mbarack Mahmouth Fall, venu de la Mauritanie, ce village d’ethnie maure est le seul village périphérique de Djoudj qui n’a jamais été déplacé. En wolof, « Rhone » est le nom d’un arbre, une espèce de palmier. A l’époque de sa création, le village était peuplé de palmiers. Aujourd’hui, nous observons de ci, de là, des cases, des animaux dans les enclos et une bâtisse qui ressemble à une chapelle avec une croix pour chapiteau. Marcel et moi nous y rendons mais en fait de bâtiment religieux, il s’agit d’une école et un homme et une femme se réunissent pour faire le point sur leur journée et corriger leurs copies. Confus, nous nous excusons et sortons aussitôt. Puis un peu plus loin, un groupe d’enfants qui observaient notre « manège » vient à notre rencontre et nous salue. Nous nous sentons accueillis mais nous attisons aussi leur curiosité… Après avoir discuté un peu, nous les quittons d’un signe de la main et d’un sourire. Nous longeons un sentier au cœur de la savane et à notre gauche sur le bord du Djoudj, les villageois ont installé des jardins et s’activent en fin de journée pour arroser ou cueillir leurs cultures (quelques tomates, salades, des patates douces). Le soleil décline, les couleurs de ces jardins au premier plan et ensuite de cette savane qui se déploie à l’infini sont magnifiques et indescriptibles. Je m’arrête quelques secondes. J’aimerais bien prendre une photographie mais l’astre solaire demeure encore trop puissant… Nous marchons et profitons de cette lumière particulière de fin d’après-midi, nous nous laissons grisés au son des grillons et arrivons le cœur joyeux au campement pour la nuit. Intense et magnifique moment.
Le 5ème jour : Départ pour Saint-Louis et visite de cette ancienne capitale du Sénégal.
A 8 heures, nous quittons le campement Njagabaar. Nous arrivons en fin de matinée à Saint-Louis située dans le delta du fleuve Sénégal, à la rencontre de la mer et du fleuve. Nous installons nos affaires à l’auberge de jeunesse « L’Atlantide », située sur l’île de Saint-Louis (anciennement dénommée île de Ndar), face à l’ancien consulat et non loin d’une superbe mosquée qui est la seule au monde à être ornée d’une jolie cloche qui n’a jamais servi…
L’histoire de la ville de Saint-Louis est particulièrement riche. Première colonie française au Sénégal, la ville a été fondée sur l’île de Ndar en 1659 par Louis Caullier en hommage à Louis XIV, une fois obtenue l’autorisation de construire une habitation par le roi du Walo. Au dix-huitième siècle, la ville était un port de marchandises et d’esclaves, en 1895, elle fut désignée la capitale de l’Afrique Occidentale Française. A son apogée, une voie de chemin de fer reliait Saint-Louis à Dakar et la positionnait comme l’une des villes les influentes d’Afrique sur le plan tant économique que politique. Capitale du pays en 1957, Saint-Louis fut également la capitale de la Mauritanie de 1920 à 1960. Depuis l’an 2000, la ville est classée par l’UNESCO au répertoire du patrimoine mondial de l’humanité et finance un programme de rénovation d’anciens bâtiments.
Pour découvrir les charmes de Saint-Louis et nous plonger dans sa réalité présente et passée, une calèche vient nous chercher en début d’après-midi. Nous sillonnons tout d’abord l’île Ndar. A l’époque coloniale, elle constituait le centre nerveux de la ville car y siégeaient la maison du gouverneur, l’armée française et autres bâtiments administratifs. Au rythme des sabots de notre cheval, confortablement installés dans notre calèche, de magnifiques villas, bâtiments, jardins se déploient sous nos yeux.
La couleur qui prédomine est le jaune : le jaune du sable (à défaut de goudron) que le cheval foule, le jaune de ces sourires que les Sénégalais nous offrent à notre passage, le jaune de la saleté, enfin le jaune d’une époque à jamais révolue aussi. Le style colonial est omniprésent mais un peu suranné. La poussière a recouvert les façades de ces magnifiques bâtisses qui se délitent au fil des ans… Le passé semble présent mais bien dépassé. Nous passons dans une rue commerçante animée qui fait oublier pendant quelques secondes ce délitement. Un guide nous livre mille et un détails de cette ville étonnante. Pour ma part, je l’écoute d’une oreille distraite. Je suis absorbée dans la contemplation de ce paysage urbain en reconquête de lui-même.
Nous quittons l’île Saint-Louis en empruntant un superbe pont métallique –le pont Faidherbe – qui traverse le fleuve Sénégal. Ce pont, conçu par Gustave Eiffel et construit en 1897, mesure trois cents mètres de long sur … de large. Il était initialement destiné au fleuve Danube. Mais à la suite d’une erreur administrative, il arriva à Saint-Louis… Bel hasard ou pure coïncidence ! Qui sait ? De notre minibus, du haut de ce pont, nous admirons ce beau fleuve sauvage, dont le débit semble important. Il est très poissonneux paraît-il… Nous rejoignons bientôt le continent et sur la berge en contrebas de ce pont, nous apercevons un pêcheur au filet, pêche artisanale qui se perpétue. Simplement vêtu d’un tee-shirt et d’un short, pieds nus dans l’eau, il jette son filet avec un geste élégant. Quel courage ! Mais a-t-il le choix de faire autre chose ? Dans ce pays dont le développement semble plus que timide, quelle est la part d’initiative ou bien de choix sa destinée professionnelle ? Vaste question à laquelle je n’ai pas de réponse.
Nous poursuivons notre périple dans la partie continentale de Saint-Louis, essentiellement commerciale : des milliers d’échoppes se succèdent à ciel ouvert pour former un marché animé bien que confus, en face desquelles des boutiques avec vitrines, des immeubles vieillottes et un peu délabrés, style classique des années 60, autre atmosphères. Nous faisons escale dans un quartier dédié aux artisans : des articles de maroquinerie, des objets sculptés en bois, des vêtements, du linge de maison et des bijoux sont proposés pour la plus grande joie des touristes à des prix défiant toute concurrence, à la condition de savoir négocier. J’achète une statuette en ébène en forme de femme pour mon père (qui aime tant l’ébénisterie) et deux petits éléphants sculptés pour mes beaux-parents. J’apprécie ce moment d’échange avec ces artistes qui vivent de leur savoir-faire. Les prix pratiqués ne sont pas forcément bon marché mais je sais qu’en payant plus, je contribuerai au bien-être de leur famille, du moins je l’espère.
La calèche vient nous chercher, la découverte de Saint-Louis continue. Nous empruntons un pont plus modeste que celui métallique de Faidherbe pour gagner Guet Ndar, l’ancien quartier des pêcheurs sur la langue de Barbarie : autre décor, autre atmosphère. Des centaines de jolies pirogues peintes avec des couleurs vives aux motifs abstraits sont accostées sur la berge. Dans le cœur de Guet Ndar, du haut de notre calèche, nous sillonnons un dédale de ruelles denses et vivantes. C’est de là que chaque jour, les pêcheurs partent, mettent leurs pirogues à l’eau, affrontent la mer et reviennent après un ou plusieurs jours passés en mer pour vendre leur cargaison de poissons.
D’autres choisissent de les saler et de les sécher selon des rites ancestraux avant de les vendre. C’est ainsi que sardines, harengs ou autres espèces viennent terminer leur course là sur des strates interminables d’étagères en bois, au soleil. L’odeur de ceux poissons salés est puissante même écœurante, j’en viens à retenir ma respiration. L’existence de ces hommes et de ces femmes qui dépendent de la mer semble très rude et précaire. De condition modeste, ils possèdent en tout et pour tout une pirogue, une petite masure de bois et de tôles, d’un emplacement pour sécher le poisson et pour les plus chanceux d’une échoppe… Plongée dans mes pensées, je quitte avec regret cet univers qui m’est étranger.
Le cheval a accéléré son rythme. Nous regagnons l’auberge L’Atlantide. Nous prenons congé de notre guide du jour, très souriant. Je n’ai pas envie de me poser. J’ai envie de marcher, de continuer à explorer Saint-Louis. Laure, Linda et Marcel opinent de la tête et nous partons pour de nouvelles aventures, cette fois-ci à pied… Nous avons deux heures devant nous avant de dîner, quel luxe, quelle liberté ! Nous nous arrêtons dans une librairie qui présente une exposition de photographies de Saint-Louis et de ses environs en noir et blanc de l’époque coloniale qui paraissent ressusciter un passé pesant. Je feuillète quelques ouvrages et achète quelques cartes postales au libraire d’origine européenne, en train de regarder un match de football sur l’écran plan de sa télévision, autre réalité qui me fait sourire. J’aime cette ville au charme ancien et cette superposition de villas, bâtiments, commerces de différentes époques de la fin du dix-huitième siècle à nos jours. J’aime aussi ces parcs, ces jardins luxuriants qui me rappellent les flamboyants, les palmiers, les cocotiers et autres magnifiques fleurs qui côtoyaient mon quotidien, il y a quelques années, en Nouvelle Calédonie. Nous retournons au quartier des pêcheurs. La foule est toujours aussi dense devant les échoppes, les regards de ces commerçants graves et leurs traits tirés. Leurs recettes de la journée vont-elles être suffisantes pour couvrir les besoins de leur famille ? Le quartier Guet Ndar résume bien cette logique de subsistance dans laquelle est plongée une partie de la population sénégalaise. Lutter pour vivre, telle est bien leur réalité. Le soleil est bas, quand nous retrouvons le groupe dans une auberge réputée non loin de l’Atlantide. Au menu : poulet Yassa accompagné d’un jus de bissap ou bien de gingembre. Marcel est le seul du groupe à se laisser tenté par le jus de gingembre très relevé. Pour Linda, Laure, Thérèse, Claude, Amadou et Moussa et moi, place à la dégustation de cet autre jus aux teintes grenadines, eau fraîche délicatement parfumée aux fleurs d’hibiscus, au goût acidulé, un régal tout simplement. Quant au poulet Yassa , il n’a pas la saveur de la découverte de celui servi à Dagana…
Le 6ème jour : En route vers Rufisque, le Lac Rose et installation à Dakar.
A treize heures, après avoir sillonné une longue et pénible piste, nous débouchons sur Rufisque, l’ancienne et regrettée dernière étape du Paris/Dakar. A notre descente, nous sommes assaillis par un groupe de femmes qui nous proposent pêle-mêle des fruits (mangues, oranges, melons verts), des colliers ou encore des porte-clés. Entre elles, la concurrence est rude et elles rivalisent en ingéniosité et argumentation commerciales pour emporter la vente. Ces discussions sans fin me fatiguent et je n’y donne pas suite. Le groupe a un peu de mal à s’extraire de ces dames très envahissantes… Nous ne sommes pas venus à Rufisque pour marchander mais pour venir admirer le magnifique Lac Rose. Or, voici que quelques mètres plus loin une magnifique étendue d’eau limpide aux tons rose porcelaine vient au loin se confondre avec le ciel d’un joli bleu azur. Ce cadre enchanteur me fait rêver. Pendant la rapide pause déjeuner où le groupe se retrouve pour déguster un Tiep Bou Dien, je fais la connaissance d’Astou, une jeune commerçantes, qui rentre bien vite dans des confidences. Elle est mère de cinq enfants et la vente des colliers qu’elle réalise de manière artisanale lui permet de faire vivre sa famille. A mesure que la discussion s’engage, s’estompe alors la relation commerciale potentielle. Je suis touchée par la sensibilité de cette femme qui semble vouloir chercher mon amitié. Elle me confie que je lui fais penser à une amie allemande et qu’elle aimerait, si je le souhaitais, entretenir avec moi une correspondance. Cette idée me ravit : j’entretiens déjà une correspondance avec une amie allemande, pourquoi pas une Sénégalaise ! Elle me demande de lui promettre de passer la voir avant de quitter Rufisque et nous échangerons alors nos coordonnées. Je le lui promets et lui serre la main. Je presse le pas, le groupe est déjà loin et Marcel, qui m’attendait, m’enjoint de me dépêcher…
Un guide vient nous accueillir sur la plage de Rufisque et nous installe sur la pirogue avec les autres membres du groupe. L’heure est à la détente et à la découverte de ce magique lac dont la forte concentration en sel explique la formation d’algues rouges en son sein et sa teinte rose dont l’intensité varie en fonction de la luminosité du jour. Je me laisse porter par les flots et les explications du guide. Ce lac est ancien bras de mer, fermé par les dunes, sous l’effet de la sècheresse, d’où sa forte salinité. Si je tentais de m’y baigner, je flotterais sans aucun effort, mais ma peau serait quelque peu attaquer le sel… Pour autant, ce lac demeure une manne pour la population locale qui en exploite le sel, l’or blanc. Nous faisons une halte sur la berge qui sert de dépôt pour le sel extrait. De ci, de là, des monticules de ce précieux or blanc trônent fièrement et des femmes avec un panier de presque cinq kilogrammes de sel sur la tête font toute la journée la navette entre les pirogues et ces monticules.
Elles ont le dos courbé et les traits tirés. Elles ne peuvent elles-mêmes aller extraire le sel car cette activité provoque des fausse-couche… Quelle vie rude pour un maigre salaire de subsistance ! Mais à l’image des pêcheurs de Guet Ndar, ces « cueilleurs » et porteuses d’or blanc ont-ils le choix d’une autre destinée ? Le sel est l’occasion « rêvée » voire inespérée de gagner leur vie quand bien même le salaire retire ne permet guère que de répondre aux besoins vitaux. Mais au Sénégal, c’est déjà beaucoup… A pied, nous regagnons la rive d’où nous sommes partis pour immortaliser sur la « pellicule numérique » ce magnifique lieu.
Fidèle à ma promesse, je pars retrouver Astou qui m’accueille dans sa boutique avec un large sourire. J’ai l’impression de me trouver dans la caverne d’Ali Baba, tant la boutique est riche en bijoux, vêtements et autres merveilles sculptées. J’observe ce joli décor décoré tout en discutant avec Astou. L’échange est cordial. J’aimerais offrir un collier à ma mère et je n’ai que l’embarras du choix. Astou me conseille et je choisis un large collier orné de pierres aux tons rouille qui conviendra parfaitement à ma mère. Avant de nous dire au-revoir, Marcel prend quelques photographies, Astou griffonne sur une carte ses coordonnées qu’elle me remet. Nous nous saluons bien chaleureusement et nous souhaitons bonne chance. Peut-être nous reverrons-nous un jour ? En tout cas, je suis heureuse de ce moment où la culture n’a que peu d’importance dans nos réalités de femmes quadragénaires et mères de famille. J’apprécie sa gentillesse et sa grâce. C’est aussi pour cette belle rencontre que je suis venue au Sénégal, pour tisser de nouveaux liens d’amitié.
De retour à l’auberge de Thialy, Marcel et moi retrouvons le groupe et nous partageons un dîner à l’occidentale qui n’a rien d’extraordinaire.
Le 7ème jour : Visite de l’île de Gorée et dîner à Dakar.
Après une rapide traversée en bateau, nous débarquons sur l’île de Gorée, par un beau temps clair en milieu de matinée. Cette petite île de 28 hectares située à 3,5 kilomètres au large de Dakar est le symbole de la Traite négrière atlantique. Comme le souligne l’UNESCO sur son site : « cette île mémoire est pour la conscience universelle le symbole de la traite négrière avec son cortège de souffrance, de larmes et de mort ».
Un guide de l’office de tourisme nous accompagne dans notre pèlerinage de mémoire. Nous sillonnons les rues de Gorée et la place du gouverneur. Le guide nous explique que le destin singulier de Gorée est lié à sa position géographique centrale entre le nord et le sud de l’Afrique et à la configuration de l’île qui offre un abri sûr pour le mouillage des navires, d’où l’origine de son nom « Goede reede » qui signifie « bonne rade » en hollandais. De ce fait, entre le quinzième et le dix-neuvième siècle, Gorée a constitué un enjeu entre les diverses nations européennes qui l’ont successivement utilisée comme escale ou comme marché d’esclaves (Portugal, Hollande, Angleterre, France). Jusqu’à l’abolition de la traite en 1815 puis de l’esclavage en 1848, l’île a été constituée de plus d’une dizaine d’esclaveries. Sa prospérité fut donc liée au commerce dont celui des esclaves qui fut un des fondements de l’organisation des colonies d’Amérique. Concernant la traite des esclaves vers les Amériques, elle s’étendit sur trois siècles (du dix-septième au dix-neuvième siècle) sur les côtes africaines (Gambie, Sénégal, Bénin, Ghana…) pendant lesquels près de douze millions d’Africains furent déportés vers les Amériques en transitant par Gorée et d’autres centres concentrationnaires (depuis l’actuel Sénégal : Saint-Louis, Rufisque, Saly-Portudal…).
Au détour d’une petite rue, nous arrivons à l’ancienne demeure de la signare Anna Colas Pépin, connue dans le monde entier sous le nom de « Maison des Esclaves ». Après avoir réglé notre visite, nous pénétrons dans une petite cour intérieure et rejoignons un groupe d’une quarantaine de personnes qui écoute attentivement les explications de ce Sénégalais de grande stature. Le collectif de touristes de tous horizons dont je fais partie est ému.
Ces lieux transpirent le désespoir et la tragédie et nous ne pouvons qu’être silencieux, recueillis devant cette histoire tragique de l’exploitation de l’homme par l’homme. Au rez-de-chaussée de cette maison coquette, se trouvent des cellules avec pour fenêtres des fentes, qui ressemblent aux meurtrières des châteaux forts, avec vue sur la mer. Chaque cellule regroupait une catégorie d’esclaves.
Ainsi, à gauche, je découvre une cellule pour les enfants non pubères qui étaient séparés de leurs parents, puis une cellule de jeunes filles, puis au centre un couloir au fond duquel se trouve la porte du « voyage sans retour » d’où étaient embarqués les esclaves pour les Amériques ; enfin, à droite, une cellule pour les femmes et une cellule pour les hommes. A mesure que je découvre ces lieux sombres et humides, j’ai la gorge nouée. Les esclaves étaient considérés comme du bétail, ni plus ni moins. En plus d’être arrachés à leur terre natale, ces esclaves vivaient entassés entre ces murs dans des conditions terribles avec cette angoisse de périr de différentes maladies, ou bien en mer… Ils devaient faire le deuil de leurs racines, de leurs souvenirs, oublié qui ils étaient. Pour conclure, le guide sénégalais nous explique que les européens portent bien sûr leur part de responsabilité dans ce commerce d’esclaves mais il nous précise que sans l’aide de rois et autres dignitaires africains qui en tiraient un bénéfice pécuniaire substantiel, ce commerce humain n’aurait sûrement pas pris autant d’ampleur. Ainsi donc, une douloureuse responsabilité partagée entre les anciens empires coloniaux européens et les pays africains pourvoyeurs d’hommes et de femmes qui n’avaient rien demandé… Pour compléter cette visite, je monte à l’étage de cette maison si particulière pour voir une exposition qui nous présente l’histoire de cet esclavage illustrée par des photographies poignantes et des objets qui font frémir, dont les fers que portaient les esclaves aux pieds. C’est avec les larmes aux yeux que je quitte cette maison. Linda, Laure, Thérèse, Claude, Marcel et moi sommes silencieux quand nous nous retrouvons. Que dire de plus ? Rien. Nous ne pouvons qu’offrir notre silence…
Nous poursuivons nos pérégrinations dans Gorée avec le guide qui nous fait visiter l’église Saint-Charles Borromée construite au dix-neuvième siècle par l’Ordre de Malte, puis le Castel, plateau rocheux recouvert de fortifications ; enfin, le Relais de l’Espadon, l’ancienne résidence du gouverneur français… Nous déjeunons non loin de l’embarcadère au restaurant « La Terrasse » qui, comme son nom l’indique, nous donne la possibilité de manger à l’extérieur avec vue sur la mer. Nous nous régalons de brochettes accompagnées de jus de bissap ou bien de tamarin ou bien encore de la bière « La Gazelle », selon les goûts de chacun. L’atmosphère est légère, le soleil généreux et l’air doux.
Pour mieux comprendre l’histoire de l’Afrique depuis ses origines à nos jours, nous visitons le musée historique réputé de Gorée en même temps que des groupes scolaires. Près de vingt salles d’exposition se succèdent réunissant des objets du quotidien et des explications techniques sur des panneaux. Passée la préhistoire, mon attention décroche pour se raccrocher de l’époque coloniale à nos jours. Je pense que ce musée mérite plusieurs visites pour en saisir l’essentiel.
J’observe des groupes de jeunes garçons et jeunes filles qui répondent à des questions sur un formulaire après avoir cherché l’information. Voici une approche ludique intéressante pour les éveiller à l’histoire de leur pays et développer leur curiosité intellectuelle.
Il est seize heures quand Marcel et moi sortons de ce sanctuaire ; habitués à la pénombre, nos yeux sont éblouis par la lumière vive de cet après-midi africaine. Nous rejoindrons le groupe dans deux heures avant d’embarquer. En attendant, nous nous laissons guidés par la simple envie de flâner dans les rues. Nous revenons à la place du gouverneur où je prends quelques photographies d’un majestueux baobab puis au jardin botanique où nous ne nous lassons pas d’observer des massifs d’hibiscus, des flamboyants et autres magnifiques fleurs et arbres. Un peu plus loin, non loin de la maison de la Signare Anna Colas Pépin, nous parvenons à une place où trône une superbe statue en bronze, la statue de la libération de l’esclavage, représentant un couple d’esclaves avec leurs chaînes brisées qu’ils brandissent vers le ciel. Ce n’est pas la colère qui se lit sur leurs visages mais une intense joie, une profonde libération intérieure qui les animent. Leurs regards tournés au-delà de ces chaînes vers les cieux montrent leur espérance en l’avenir. Leurs corps enlacés expriment aussi l’amour porteur d’un monde nouveau et meilleur. Ils sont représentés sur un grand tambour, rappel aussi de leur culture. A côté de cette statue, une plaque commémorative en marbre où se détache, en lettres dorées, le message suivant : « Les frères guadeloupéens à leurs frères africains… », tout un symbole qui montre le lien indéfectible et très fort qui unit le peuple antillais et tous les Africains déportés aux Africains. La statue est un don du Conseil général de la Guadeloupe, beau témoignage d’amitié. L’île de Gorée ne nous laisse pas indifférents et nous émeut toujours et encore un peu plus. Il nous reste que peu de temps avant de regagner le bateau, juste assez pour aller explorer une petite rue étroite et ombragée. Sur un mur, est inscrite une citation de N’Diaye Fall qui nous interpelle Marcel et moi et nous plaît beaucoup : « Un vrai artiste va vers un chemin qu’il ne connaît pas par des chemins qu’il découvre faisant. ». Nous ne connaissons pas cet auteur mais nous adhérons à sa pensée. Ainsi, depuis une semaine, dans notre démarche d’exploration du Sénégal, ne serions-nous pas devenus un peu artistes à la manière de N’Diaye Fall ?…
En tout cas, nous nous sentons pousser des ailes, nous aimons tout deux voyager, explorer de nouvelles cultures, c’est une évidence… C’est dans cette réflexion que Marcel et moi voyons s’éloigner avec regret cette île, installés sur le pont arrière du bateau, les cheveux au vent… Nous n’oublierons pas l’île de Gorée…
Pour clôturer cette belle journée, Laure, Linda, Claude, Thérèse, Marcel et moi ainsi qu’Amadou retrouvons Moussa dans un restaurant ivoirien pour une soirée d’au revoir. Un peu ému, Moussa est peu bavard mais il rit bien volontiers à nos plaisanteries. Avant de nous quitter, il nous remercie pour notre patience et notre gentillesse. Nous lui remettons une carte dédicacée du groupe et des cigarettes pour lui témoigner notre amitié. Il nous fait la bise à tous et depuis le perron du restaurant, nous le voyons s’éloigner avec les yeux plus humides que jamais… Quelle belle et touchante soirée !
Le 8ème jour : Visite du centre ville de Dakar et voyage de retour vers Paris.
Notre séjour au Sénégal touche à sa fin, Dakar, dernière étape de notre beau voyage. Avant de nous envoler pour Paris, un taxi nous amène au cœur administratif et économique de la capitale sénégalaise. Ainsi, nous passons devant des sites aussi prestigieux les uns que les autres : le Sénat, l’Assemblée Nationale, la résidence du Président de la République. Le taxi nous arrête devant le musée de Théodore Monod d’Art africain. Malheureusement, les portes sont closes. Des travaux sont en cours. Nous marchons dans ce cœur de ville où le vrombissement des moteurs et les klaxons des voitures, les conversations des passants et des commerçants qui se croisent ont remplacé nos voix. Toute cette agitation extérieure, ce bruit incessant et cette enfilade de magasins chics nous amènent à une réalité de capitale occidentale assez éloignée des marchés sénégalais typiques de périphérie. Je commence à ressentir une légère migraine… Nous faisons une halte à la cathédrale Notre-Dame des Victoires, au crépi blanc, d’architecture moderne. J’aime cet intérieur blanc baigné de lumière par les larges vitraux, l’ambiance silencieuse permet aussi le recueillement. Nous poursuivons notre découverte de Dakar dans cette enfilade de rues qui nous mène à la hauteur d’un beau jardin botanique. Le groupe se sépare alors pour deux heures : Laure, Linda, Thérèse et Marcel partent explorer le marché couvert de Dakar tandis que Claude et moi séjournons dans ce magnifique carré de verdure luxuriante.
Nous éprouvons le besoin de nous reposer. En cette fin de matinée, nous nous délectons d’un thé parfumé sur une terrasse d’un café-brasserie nommé « Le Paris » -j’y vois comme un clin d’œil à notre proche retour- qui nous offre une vue sur une petite place entourée d’haies d’hibiscus et de flamboyants. Cela fait du bien de s’asseoir, d’échanger. Le voyage a ceci de magique qu’il prête à la rêverie et parfois à la nostalgie et Claude et moi partageons ainsi un peu de nos parcelles de vie, de ce que nous évoque personnellement le Sénégal… Nous retrouvons le reste du groupe à 13 heures, heureux aussi d’avoir découvert le marché couvert, ces magnifiques étals de toutes les couleurs de fruits et légumes et de tissus et cette atmosphère unique de gentillesse, de spontanéité des commerçants qui caractérise bien le peuple sénégalais.
Après une rapide pause déjeuner, nous reprenons un taxi qui nous ramène à l’Auberge de Thially, enfin nous le pensons, car au beau milieu de nulle part, notre chauffeur de taxi s’arrête net, il a perdu la trace du deuxième taxi qu’il suivait et ne sait pas où aller. Claude, Thérèse, Marcel et moi, nous regardons.
Nous indiquons au chauffeur de taxi que nous devons nous rendre au quartier de la Patte d’Oie (nous n’avons pas l’adresse, habitués que nous étions à nous laisser conduire par Moussa qui nous manque déjà). Mais, le chauffeur de taxi ne comprend qu’à demi-mot le français et paraît un peu affolé… Heureusement, dans ses affaires, Thérèse ressort le téléphone de l’auberge et lui indique de téléphoner en faisant quelques gestes. Enfin, après quelques échanges en sénégalais, voici notre chauffeur qui redémarre, il ne semble pas très bien connaître le quartier de la Patte d’Oie et de notre côté, nous faisons un effort pour nous souvenir de la rue. Enfin, nous reconnaissons un magasin de souvenirs et nous lui demandons de s’arrêter. Nous quittons un peu rapidement ce chauffeur qui nous fait un signe rapide, je crois qu’il est soulagé de nous avoir conduits à bon port. Nous retrouvons Laure et Linda qui nous attendent depuis près d’une demi-heure. Il est temps de boucler nos bagages… Avant de quitter l’auberge, nous prenons un verre sous une magnifique pergola avec Amadou qui, à son tour, est ému. Nous trinquons à sa santé et le remercions pour sa disponibilité et ses précieux conseils. Il nous accompagne jusqu’à l’aéroport et nous fait tous la bise… Il parle peu mais je comprends qu’il nous regrette déjà…
Il est 18 heures quand nous embarquons dans l’avion qui nous mène à Paris. Depuis la passerelle, je respire l’air du Sénégal et observe ce paysage de soleil couchant. Au-delà des pistes, la savane a pris de jolies teintes rosées, une brise légère caresse mon visage, même ambiance qu’une semaine plus tôt, dernière image de ce beau voyage. Sans transition aucune, je pénètre dans l’habitacle de cet avion et respire cette fois-ci un air conditionné, l’espace est plus réduit aussi... L’avion décolle et m’éloigne chaque seconde un peu plus de ce pays africain qui me marquera encore longtemps…
Remerciements :
A Moussa & Amadou pour s’être si bien occupé de nous pendant cette semaine,
Aux guides pour nous avoir fait partager leur savoir : Alioune, Ibrahim, Cheikh, Robert.
A Keur Mama pour nous avoir préparé ce séjour sur mesure,
A virginie pour ce récit de voyage qui nous permet de garder une trace de notre séjour au Sénégal.
Aux participants pour nous avoir fait confiance sur cette première édition !